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La Responsabilité face au Destin dans l’iconographie égyptienne |
02 Mai 2012 | ||||||||
Deux poissons étaient porteurs d’une symbolique très puissante en ancienne Egypte et comme je le répète souvent l’iconographie simple de l’Egypte Antique recèle beaucoup plus d’enseignement qu’elle n’en a l’air. La représentation de ces deux poissons là est intéressante comme vous allez voir. Ces deux poissons sont: le Tilapia et la perche du Nil, le Lates niloticus appellé à tort «capitaine». Et si dans l’iconographie, l’on représentait souvent un homme harponnant les deux en même temps, dans la réalité cela était parfaitement impossible. Et c’est là que cela devient intéressant. En effet: si le tilapia est un poisson vivant en eau peu profonde, principalement dans les lacs, les bords de rivières ou les bassins, le lates lui, vit dans les eaux sombres et profondes, dans le lit même du fleuve. On ne pouvait pas les attraper en même temps et donc la représentation d’un homme pêchant les deux à la fois, a un sens caché. Le nom Tilapia est une latinisation du mot «thiape» dans la langue Tswana des Bantous (langues du Niger-Congo). Et en ancien égyptien le tilapia se nommait: «in.t» et avait son propre hiéroglyphe (k1 dans la liste Gardiner). En Chine le tilapia est connu comme loufei 罗非鱼 car le Nile se nommait: « niLOU» et l’Afrique: « FEIzhou» = LOUFEI. L’un des plus anciens bas reliefs égyptien représentant le tilapia date de 4000 ans et montre des tilapias élevés dans des bassins. Le tilapia était associé dans de nombreux poèmes anciens au soleil levant et au bleu clair de la turquoise mais aussi au cœur à cause de ses beaux reflets rouges par moment, car il pouvait arborer des couleurs vives. Il symbolisait fortement la vie et la fécondité du soleil et était associé à la protection car en cas de danger la femelle donne refuge à ses petits dans sa bouche. Et puis il nettoie les tiges de lotus de ses micros organismes ce qui fait qu’on a l’impression que la fleur et la tige du lotus sortent de sa bouche.
D’un autre côté, le lates lui, était associé à la nuit et au bleu sombre du lapis lazuli. Le lates est nommé Mbuta dans les langues Nilotiques Luo et c’est un redoutable prédateur qui peut se nourrit même de sa propre race. Et il n’est donc pas étonnant que les deux poissons soient représentés suivant la barque solaire puisque l’un représente la nuit et l’autre le jour. Dans le «Livre des Morts» (mieux traduit par «Livre du retour à la lumière du jour») chant 14, il est dit au décédé lorsque il souhaite rejoindre la barque solaire: «Tu vois un Tilapia véritable dans sa piscine turquoise...» et: « Je détiens le véritable tilapia guidant le bateau rapide sur les eaux…». Ainsi harponner les deux poissons si différents dans l’iconographie de l’Egypte ancienne c’est d’abord être didactique, une bonne méthode d’enseignement pour rappeler et alerter sur les propriétés différentes des poissons mais c’est surtout une représentation pour l’homme, de la maîtrise du jour et de la nuit, la maitrise de son destin. En effet le jour était assimilé en Ancienne Egypte au Passé éclairé (l’hier visible, l’hier «éclairé») et la nuit au futur (le lendemain invisible, le sombre).
Le Passé étant harmonieux , «prévisible», «connu», assimilé car derrière nous, et le Futur: inconnu et en proie aux forces sombres chaotiques assimilées au lates qui peu manger sa propre race. La place de l’homme Juste est au centre, dans le «maintenant», maitrisant son destin c’est à dire ces deux forces.
Notre course en tant qu’humain est toujours d’aplanir les difficultés que recèle l’Avenir et de le préparer, de l’harmoniser, de mettre de l’ordre et de l’ équilibre (la Maât de l’Egypte ancienne) et je suis toujours étonnée du peu de cas que l’on fait de la quantité de travail et d’énergie que cela représente... Harmoniser le Futur et garder l’équilibre du présent ou le rétablir est une des tâches les plus importantes de l’humanité et avait été bien comprise par les Anciens Egyptiens, car pour eux c’était là l’assurance de notre immortalité et l’assurance de la stabilité des dimensions supérieures où nous devons évoluer par la suite. Le Futur dépend de nous et si nous nous en occupons pas, il peu contenir les pires catastrophes, mais nous en sommes les co-créateurs et nous ne devons pas oublier notre responsabilité à cet égard. A tout moment nous pouvons faire évoluer les choses par nos actions et nos pensées et cela a beaucoup d’implications, si nous faisons face avec lucidité. Selon les gardiens de la tradition oral que j’ai fréquenté, la plus puissante prière de leurs ancêtres en Egypte était: «Dieu, préserve nous de nos mauvais futurs!». L’iconographie là jouait son rôle essentiel en nous transmettant le message. Antoine Gigal est un auteur français, chercheuse et exploratrice, correspondante permanente en Egypte de la revue “L’ Egypte” |